Ma chère vérité

« Vous pensez que je suis folle ? J’ai juste mal, une douleur qui n’est pas notable sur une échelle de 1 à 10. Existe-t-il une rééducation psychologique ? Existe-t-il des pansements pour des blessures psychiques ? Existe-il une opération pour réparer un cœur brisé ?

Je suis brisée et maintenant je dois commencer ma vie et j’ai peur. Comment vais-je construire une vie saine avec une santé mentale détériorée ? Je respire, mon cœur bat, mais mon esprit est éteint. Je m’enferme dans le mutisme. Mais ne m’entendez-vous pas hurler de l’intérieur ? Ne m’entendez-vous pas vous supplier de me sortir d’ici ? Mes yeux fonctionnent, mais je ne veux plus rien voir, tout est mort ici. »

Ce sont mes mots, ceux d’une jeune fille de 16 ans, malade. Non pas atteinte d’une maladie physique, mais d’une maladie psychique : une jeune fille dépressive, suicidaire et désespérée.

J’en avais déjà entendu parler, mais de loin : c’était déjà arrivé à un ami de la famille. Mais on n’en parlait jamais ; je crois que c’était tabou. D’ailleurs, je crois qu’on ne le voyait plus vraiment cet ami, comme si c’était contagieux. Et puis un jour je l’ai attrapée à mon tour, la dépression.

A l’aube de mes 17 ans, un médecin me diagnostique dépressive. Il me prescrit des anti-dépresseurs et deux séances de psychologue par semaine. « Un peu d’activité physique et dans deux mois, c’est de l’histoire ancienne ».

Voici la définition made in Google du mot dépression : « La dépression est une maladie psychique fréquente qui, par ses troubles de l’humeur, perturbe fortement la vie quotidienne. »

Du coup l’activité physique, ça n’a pas marché.

J’ai continué à me morfondre sous mes draps et à vivre les volets baissés. J’ai continué à penser, à sur-penser, à nourrir mes idées noires. J’ai continué à me détester pendant plusieurs années. J’ai continué à me faire du mal psychologiquement et physiquement, comme si je méritais de souffrir : je cherchais à me punir. J’ai grandi et la maladie aussi. On est presque devenues complémentaires. J’ai appris à l’apprivoiser, elle et ses différentes facettes.

Ah ! J’ai oublié de vous présenter ses deux copines : l’anxiété et l’angoisse. Elles sont nées en moi sans me donner un mode d’emploi, je me suis retrouvée avec des émotions aussi fortes qu’indescriptibles, des pulsions et des paralysies chroniques. Je m’endormais en pensant à la manière dont je pourrais mourir.

J’ai mis longtemps à comprendre que penser aussi souvent à la mort et au fait que la mort soit une option aussi facilement envisageable n’était pas normal. J’ai réellement grandi avec une voix qui me chuchotait : « C’est trop difficile, laisse tomber, ta vie est foutue, tues-toi ». Parfois, cette voix hurlait si fort que je devais me rouler par terre pour la faire taire, laissant place à des crises de nerfs inimaginables. Je me frappais moi-même, me griffais, me tabassais pour extérioriser cette douleur dont je me croyais l’unique coupable.

Physiquement j’étais présente, à l’intérieur j’étais morte.

J’ai eu honte pendant longtemps, cela m’a paru une éternité. Je ne n’en parlais pas, je me cachais derrière l’image que tout le monde voulait voir. Les autres comprennent votre douleur sur l’instant T mais ils ne comprennent pas le tsunami qui ravage tout à l’intérieur.

Lorsque vous vous blessez, vous passez par la case rééducation. On vous réapprend doucement à poser le pied à terre, à tendre et plier le genoux. Lorsque vous subissez un choc émotionnel, on ne vous rééduque pas le cerveau. On ne vous apprend pas à vivre avec des traumatismes qui influenceront votre manière de vivre. On ne vous apprend rien, on compatit face à vos larmes les deux premiers mois. Au-delà de ce délai, vous êtes totalement fou et irrécupérable. J’ai été confrontée à des gens qui disaient me comprendre mais qui, face à une crise d’angoisse, fuyaient par peur que je sois contagieuse. J’étais « folle » et je devais « régler mes problèmes », selon eux. 

J’ai fait fuir des amitiés et des relations amoureuses parce que mes angoisses étaient invivables, mes frustrations trop profondes et mon besoin de sécurité trop important. J’avais peur des autres, de leurs regards, de leurs mots, de leurs jugements, peur qu’on apprenne que j’étais malade, que j’étais instable et suicidaire, que je n’étais pas normale. Ce n’est pas ce que la société veut que nous montrions. Il faut être stable, sérieux, conscient et ne jamais faillir en public.

Je ne suis pas devenue folle, je n’ai pas été atteinte de démence ou d’hallucinations. Je suis juste tombée malade. Comme l’on se casse un bras, je me suis abimé le cœur et l’esprit. On ne m’a pas mis de plâtre que mes amis pouvaient signer.

J’ai fini par prendre conscience que je ne devais pas avoir peur de la réalité. Je ne pouvais pas avoir honte de moi, ni honte de mes blessures, qu’elles étaient le reflet de mon histoire, qu’elles faisaient partie de moi et que je ne pouvais pas vivre dans le rejet de moi-même indéfiniment, parce qu’à force, je finirai par mourir de colère.

La dépression n’a pas disparu du jour au lendemain, elle n’a pas fait ses valises et claqué la porte. Je l’ai acceptée, je lui ai fait une place et j’ai vécu avec pendant plusieurs années. Des montagnes russes émotionnelles, des moments de bonheur très intenses et des moments de tristesse et de désespoir étouffants. Des émotions à l’extrême. Tout blanc ou tout noir, sans autres nuances. Les idées noires ont diminué, remplacées par des idées de vie. D’un coup je ne cherchais plus comment m’ôter la vie, mais comment la vivre de la meilleure façon possible. Je peux aujourd’hui sentir arriver une crise d’angoisse, l’appréhender, l’analyser et la surmonter sans dommage. Cela fait quelques années que je ne me suis pas fait de mal physiquement. Je cherche maintenant à me protéger, je ne suis plus mon ennemie, je suis mon alliée. 

La guérison est longue mais au bout du couloir, aussi long soit-il, il y a le Soleil. Il revient toujours, peu importe la taille de la tempête, il se lève à nouveau.

A bientôt 24 ans, je vis, respire, aime avec des cicatrices qui m’empêchent encore d’être pleinement heureuse. J’apprends encore à entretenir la meilleure relation avec moi-même, à m’écouter, à me protéger, à partir quand il le faut, à ne pas m’aventurer dans des histoires toxiques. Je me protège. La vérité c’est que parfois je suis incapable de sortir du lit, je pleure, je remets tout en question, je trouve la vie injuste et en une fraction de seconde une idée noire apparait, mais elle ne reste jamais longtemps, car je m’aime trop, j’ai trop à donner pour me gâcher et disparaitre maintenant.

Certains fronceront les sourcils à la lecture de ces lignes. La vérité est parfois dérangeante, le mensonge est sans doute plus agréable à regarder. On est souvent plus attirés par une couverture de livre en papier glacé et coloré plutôt que par celle qui est unie et neutre. Toute notre vie on nous répète de prendre soin de nous, de manger sain, de faire du sport, de ne pas fumer, ne pas boire, ne pas se droguer. Mais vous pouvez avoir le corps le plus sain possible, si vous ne prenez pas soin de votre esprit, alors vous n’êtes qu’une couverture en papier glacé et coloré mais dont les pages sont vides et tristes.

Quelle est la vérité de la personne à votre droite, de votre ami, de votre amour, de votre parent ? La santé ne se lit pas uniquement sur un physique. Ouvrez ces livres à la couverture brillante, ne soyez pas aussi superficiels que l’impose notre époque.

A ma chère vérité, je n’ai plus honte de toi.

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